Extrait du récit publié dans Sur la page, abandonnés
Les Éditions Extensibles, 2016
Le lieu de naissance qui figurait sur mon titre de séjour s’écrivait en quatre majuscules : URSS.
Pendant quelques années, juste le temps de savoir ce que j’allais devenir, j’étais née dans un pays qui n’existe plus. Aujourd’hui, la situation est beaucoup moins déroutante. Ma carte d’identité française affiche simplement Bakou, Azerbaïdjan. Pourtant, cette correction ne me semble pas fondamentale. Ma mère est russe et mon père arménien et ukrainien. URSS ou Azerbaïdjan, ce n’était qu’un passage. Des paysages qu’à peine née je n’ai jamais connus. Mais mon nom porte en lui inévitablement ces origines. Mes parents, sûrs d’avoir un garçon, n’avaient pas réfléchi à un prénom de fille. Alors, quelques heures après ma naissance, mon père cria à ma mère, de l’extérieur, sous la fenêtre de l’hôpital : « Et si on l’appelait Sabina ? » Me voilà, avec le prénom le plus répandu d’Azerbaïdjan. Ce n’est que mon arrivée en France qui a permis de lui rendre son originalité.
Mais là où les cultures se croisent, parfois, se crée un vide. J’ai atterri en France beaucoup trop tôt et trop tard à la fois. Suffisamment tard pour garder l’accent russe toute ma vie, seule chose qui trahit mes racines, et bien trop jeune pour ne pas avoir eu le temps de développer une curiosité intense envers l’histoire slave et acquérir des bagages de connaissances solides à ce sujet… Je suis incapable de justifier d’une éducation dont pourrait témoigner un « vrai et digne représentant de cette grande Patrie ». Apprendre le français et m’intégrer à l’école était une priorité tellement forte que sous peu j’en oubliais même mon russe.
Je me souviens d’une fête annuelle organisée en 1999 ou en 2000 dans mon école de Moscou. S’étaient enchainées comme d’habitude chorégraphies d’élèves – avec mon numéro de danse dont je ne me souvenais même pas avant de revoir la photographie prise par mon père –, lectures de poèmes, saynètes et autres performances. Le moment le plus marquant de cet évènement était toutefois le discours d’une de nos enseignantes qui se terminait par « Vous faites partie de la génération qui aura connu deux siècles, nés au XXe siècle, vous deviendrez les acteurs du XXIe ». Quelque chose dans cet esprit-là. Mais je ne suis pas sûre d’en tirer la même conclusion. Je pense qu’elle voulait exprimer une certaine idée de continuité alors que pour moi il s’agit au contraire d’un avant et d’un après, avec cet interstice temporaire permettant de faire table rase et repartir à zéro. L’occasion de retrouver une part de naïveté dans ses actions, une écriture plus authentique, de se libérer des prétentions… autrement le risque de se faire envahir par le doute, l’envie de plaire et le besoin d’affiliation ne laisseront jamais libre cours à la sincérité. « Ces moments où l’on ne comprend encore rien sont précieux, le cœur laissé pour seul guide. »1 […]